Les Échos de Lobozounkpa : Un festival d’inclusion, et de rencontres par la diversité créative.12/27/2019 La construction de ce festival renvoie aux prémices d’une vision optimiste et inclusive, entretenue au fil des éditions. Pourtant, c’est en déconstruisant les certitudes du passé, et en se risquant à des possibilités qui échappent au stéréotype, que Les Échos de Lobozounkpa, semble établir son caractère imprédictible, qualitatif, conciliateur et social. Le festival œuvre donc à se refuser aux évidences réchauffées, et ne relève d’aucune lapalissade. Au contraire, cette troisième édition a suscité davantage de curiosité, d’engouement, sollicité plus d’énergie, d’implication, et de prises de risques. Autant sur le plan organisationnel, communicationnel, stratégique, et éditorial. Dans cette optique, le festival se veut facilitateur d’échanges, incitateur d’interactions et aussi révélateur de talents. Avec comme plus-value, cette volonté constructive de placer le public au cœur du festival, mais aussi comme socle des créations. Une démarche qui faisait sans doute dire à John Russell : « Plus vous engagez [votre public], plus les choses deviennent compréhensibles et plus cela devient facile de déterminer ce que vous devez faire. » Ainsi, de la quintessence thématique au sens d’action, la manière d’appréhender Les Échos de Lobozounkpa nécessite un double regard afin de mieux cerner le double sens dont le festival est revêtu. Dès lors, cette troisième édition renvoie à la fois, à une occupation occurrente du quartier devenu espace de création de circonstance. Cela, en un temps précis, précieux, et déterminé. Puis, elle renvoie aux faits marquants que sont toutes les activités artistiques réalisées en présence, avec, ou sous les yeux des populations. De sorte que, tous les événements partagés ensemble durant l’année et pendant la durée des Échos de Lobozounkpa ; prennent une importance particulière, une valeur relevée, pour Le Centre comme pour les habitants de Lobozounkpa. Autant dans la conscience collective que dans le déroulement et la signification. De fait, cela confère un caractère presque mnésique à ce festival, qui s’est donc articulé en plusieurs perspectives, en kaléidoscope varié d’animations, de sensations et d’émotions. In situ : pour une mise en perspective de l’engagement participatif Au commencement était… l’art contemporain ! On pourrait emprunter à la Genèse cet aphorisme liminaire, pour signifier à la fois : par quoi le festival a entamé sa troisième édition et aussi, la logique originelle qui sous-tend l’existence même du Centre. C’est donc avec une entame faite de reconquête que cette exposition collective a pris ses marques. Une reconquête avant tout émotionnelle ou encore situationnelle. Mais qui concerne également l’espace, exigeant une indispensable réconciliation avec les lieux, les murs, les rues. Plus encore, avec l’exposition « In situ », nous avons assisté à une reconquête mémorielle quasiment précautionneuse, dans laquelle le passé a été recouvré, reconquis pour laisser ressurgir les processus, les étapes, les déroulements, les intentions créatives, les mécanismes de rapprochement du travail des artistes avec le public, les hésitations, les inaboutis, les achèvements, les finitions, les réactions comme les impacts sur le public. En cela, cette exposition collective revêt une triple approche : entre archives sonores, documentations visuelles, et œuvres restitutives. En conséquence, l’on perçoit l’ambition de donner accès à la vitalité plurale, culturelle, intimiste, militante, féminine, sociologique, symbolique, voire futuriste, de la création contemporaine africaine. Elle qui s’élabore à la marge des préjugés, en faisant face aux précarités, aux manques, et en puisant également dans ce que Tchicaya U’Tamsi nomme « ésotérisme fonctionnel ». Tant, plusieurs œuvres se veulent autotéliques, avant d’être explicitation d’un désir de se faire exutoire. Il convient aussi de notifier que, pendant que les uns tentent de renforcer un sentiment identitaire au travers de leurs créations, d’autres restent à l’écart de ces problématiques locales. C’est dire que l’imaginaire de ces talents, bien que se reposant sur l’idée d’un cadre, et d’une transmission réciproque en une sphère ou à partir d’une sphère prédéfinie, ne s’enferme pas. Leurs idées prennent donc forme, là, à travers des questionnements introspectifs, qui épousent cependant des engagements planétaires, des éventualités qui vont aux confins de l’universalité. Ensuite, par sa plongée édifiante et argumentée, cette exposition, rend compte de l’exigence d’une construction artistique interactive, et de la force d’émotion d’une collaboration avec les autochtones qui iront à sa rencontre. Ce qui contribue à progresser au-delà du manichéisme : public – créateur. Et pour étayer la volonté du Centre, d’impliquer les habitants de Lobozounkpa, de raffermir l’esprit de coexistence ; l’exposition donne la voix aux populations, qui se livrent librement, pour se dire, pour se projeter, pour se rêver, pour se réinventer dans ce qu’ils sont, par rapport à ce qu’ils auraient voulu être, et en fonction de ce qu’ils sont en train de devenir. Tout cela, étant intégré à l’exposition collective à laquelle la même population participera. Puis, il faut prendre en compte, qu’à travers cette mise en commun entre artistes et public, s’installe une connexion spécifique qui ne s’affirme que par le détachement insidieux de l’un vis-à-vis de l’autre. De fait, le corpus d’œuvres, n’est plus l’appartenance d’aucun, notamment à travers le pouvoir d’interprétation narrative des lieux, des symboles, des évidences, des indices techniques, des motifs, des gestes, des formes, et des médiums contemporains sollicités. Et c’est au vu de ce détachement insaisissable, que s’atteste la pleine intention d’émancipation du message comme des possibilités de compréhension envisagées par les deux acteurs de l’exposition. Autrement dit, cette exposition collective « In Situ » évoque permanence et métamorphoses de l’anamnèse, entre ambivalence, dilogie, équivoques et engagements pluriels. La mise en contribution des différentes données spatiales, anthropologiques, humaines, historiques, et contextuelles, permet d’appréhender la propension de l’art, de sortir de ses cadres conventionnels – dont la salle – pour conquérir de nouveaux territoires d’exergue. D’où, autant par la rhétorique de la composition, que la verve interrogative et le croisement pluriesthétique des approches artistiques ; la disposition des œuvres au cours de l’exposition « In Situ » a montré la capacité du Centre à se réinventer, à se régénérer par sa logique de démocratisation et de délocalisation, jusqu’à devenir, à certains égards, un espace qui possède un véritable outil d’influence territorial. Des concerts tissés au fil des rythmes endogène Voix, cadences et passions ont transpiré sous toutes ses vibrations à travers les prestations des Frères Guèdèhounguè et de Pépit’arts qui invitent à un voyage culturel intensif. C’est, semble-t-il, sans renier l’intention de la transmission transgénérationnelle que le festival a prévu deux groupes au profil aussi complémentaire. En effet, pendant que Les Frères Guèdèhounguè, sont désormais perçus comme des ténors avérés, et fortement primés ; Pépit’arts représente cette frange de jeunes talents émergents qui se distinguent indubitablement et cela, étape après étape. Comme pour signifier que : derrière de grandes carrières abouties se déploient de belles promesses en floraison. Autrement dit, Les Échos de Lobozounkpa tenterait de faire percevoir, une nécessité de transversalité entre les artistes du Bénin, ou l’utilité d’établir des ponts surérogatoire. De ce fait, le festival se projette ardemment et hardiment vers la postérité, tout en s’appuyant sur la maturité pérenne des précurseurs, des figures intemporelles. D’autant plus que le lien entre les deux formations artistiques est ténu, et perceptible sous le prisme de l’enracinement de leur esthétique créative, du travail de recherche musical qu’ils effectuent chacun sur l’endogénéité, et de l’identité réexplorée et renouvelée avec des accents de modernités. De sorte que dans l’intensité comme l’intonation, dans la prosodie comme dans le ton ou la tonalité des chants, danses et percussions ; l’héritage génétique, socioculturel, et naturel de nos ascendants comme de nos couvents, se redécouvrent et se reconquièrent. Ce qui comprend l’ensemble d’éléments secrets et de biens sacrés qui sont l’apanage de nos ascendants, et à partir desquels s’exerce le rayonnement des aïeux, de nos divinités, de nos sociétés, de nos êtres mystiques, et de nos airs mythiques, de nos coutumes, de nos us ou totems. Et c’est d’ailleurs dans ce sens qu’on admet mieux le choix judicieux du Centre de programmer des artistes dont la différence flagrante des âges n’ébranle en rien la volonté similaire de trouver l’équilibre entre traditions et modernités. Et plus encore, de témoigner à quel point nos rythmes malgré leur densité et leur pluralité, ne forment qu’un ensemble, non seulement indivisible, mais pratiquement universel. De fait, la musique chez les Frères Guèdèhounguè et les Pépit’Arts, est tel que le suggère Joël Bonnemaison, riche de significations, car elle se tient comme un type de réponse au plan idéologique et spirituel au problème d'exister collectivement dans un certain environnement naturel, dans un espace, et dans une conjoncture historique et économique remise en cause à chaque génération. Ce que voudrait probablement donner à constater Les Échos de Lobozounkpa. C’est-à-dire, nous faire prendre conscience, qu’en dehors de la festivité, et des élans de réjouissances éphémères, programmer les Frères Guèdèhounguè et les Pépit’Arts, c’est nous pousser à une vision durable selon laquelle : nos musiques traditionnelles seraient convergentes avant d’être particularités singulières distinctes. En cela, elles incarneraient un monde commun de sens, de langage ; que peut décoder tout individu pourvu d’une volonté d’attache (quel que soit son âge). D’où les enfants issus des Pépit’Arts seraient comme la continuité héréditaire des accomplis Frères Guèdèhounguè. Parce qu'ils sont liés par un système de représentation symbolique existant en soi, un univers créatif qui a sa cohérence et ses propres effets sur la relation des populations à leurs traditions, à leurs rythmes, et à l'espace dans lequel elles les revivent. Hors norme : de la corporéité psychologique à la corporalité psychiqu Intuitifs, théâtralisés, ou habités, tous les gestes d’Arouna GUINDO et Yvon EKUE semblent naître d’une séditieuse urgence, d’un souffle d’action et d’un flot transcendantal d’émotions renflées de labeur, de solitude, d’errance erratique de soi, de combat intérieur, de cris intimes. Comme pour quêter l’insaisissable, comme pour saisir depuis le creuset de l’espérance, un monde d’ascendance où l’être est une matière non d’évanescence, mais de régénération. Ainsi, ils établissent, conjointement puis chacun selon sa manière, la question de la mise à l’épreuve du corps en même temps que la réflexion sur les pouvoirs et limites de la parole. S’autorisant à une sorte d’appel à insurrection intérieure sans tomber dans la complainte, en soulevant des interrogations qui demeurent sans réponse ; ils ne cessent de démontrer à quel point, leur performance ne fonctionne pas par rapport ou à partir de la présence du public. Et cela, même si elle a été entamée dès le premier soir du festival, au moment où celui-ci achevait sa plongée dans le vernissage. En cela, malgré le détachement au public qui caractérise leur performance, Arouna GUINDO et Yvon EKOUE ne cessent de se tourner vers un autrui. Qu’il soit fictif ou réel, mental ou utopique. L’autrui est leur ancrage d’expression dialogique. Ils le mettent en place au fur et à mesure, et le réinventent constamment pour qu’il ressemble à ce qu’ils ressentent. Pour trouver enfin une écoute, une compréhension et un regard qui rétabliraient le langage dans sa fonction de dictame, de connivence et de complicité. Ainsi, ils occupent tout le Centre, de bout en bout, même les murs, jusqu’au quartier de Lobozounkpa. Quêtant l’autrui imaginaire et imaginé. De jour comme de nuit. Avançant, et reculant comme dans un rembobinage d’une cassette vidéo, comme dans un déroulement à rebours-sens d’une bande audiovisuelle. A la vitesse de la musique du cœur. Au gré également des chansons mixées par les animateurs Djs (Dj Roto ou Dj Seven). S’adaptant à la cadence des sonorités distillées sur leurs platines, dont les sets oscillent entre références culturelles datées, variées, ambiancées, rétros et influences urbaines. La synchronisation dans la gestuelle, et le dialogue silencieux, mais communicatif qu’ils entretiennent au fil des secondes, des minutes, des heures, des jours, des nuits ; dénotent d’une capacité discursive à aller de l’emmurement à l’émulation, de la tourmente de son monde intérieur vers une communion avec les réalités alentours. Il y a une ambition d’interpeller sans héler, d’avertir sans donner l’alerte dans l’évocation du propos de cette performance « hors norme ». Pendant ce temps, ils donnent l’impression de tenir tête aux pensées harcelantes qui ne les laissent jamais en repos. Serait-ce justement pour cela que même pendant ce qui faisait office de pause (aux heures de repas, de repos, et de besoins usuels) durant cette performance qui a duré continûment quarante-huit heures, Arouna GUINDO et Yvon EKUE maintenaient un hochement de tête incessant ? Ce qui signifie qu’à aucun moment, les deux artistes ne se sont accordés, une interruption intégrale. Autrement, ils se sont servis de leur tête comme de base motrice de leur danse, et de leur résistance au temps qui passe, de leur résistance à la vérité du monde qui pourrait leur échapper, à la connexion avec leur intérieur. C’est certainement pour cette raison, qu’au détour du deuxième jour de performance, soit près de trente-six heures de danse après l’entame ; ils se fabriquèrent des pancartes de fortune qui explicitement, transcrivaient (même avec ambiguïté) leur écœurement longtemps entretenu, leur interpellation des consciences collectives, leur appel à l’action au-delà de la fatalité ambiante qui accable. Eux qui vivent durement ce qu’ils évoquent et endurent vivement ce qu’ils rapportent, tentent d’unifier et de synthétiser constamment leur propos, et les impressions sensibles qui en découlent à leurs yeux. Or rien ne semble intervenir du fait du hasard (même quand on perçoit une grande place pour l’instantané). Qu’il s’agisse de la lampe tempête constamment présente durant la performance. D’ailleurs pourquoi une lampe éteinte ? Symbole d’une envie de faire renaître de soi la flamme enfouie en soi ? Ou qu’il s’agisse de la déconnexion machinale qui surgit souvent brusquement entre les deux danseurs ; de sorte que l’un n’agit plus en fonction de l’autre, et que par moment, chacun se réinvente, se recrée son tempo de danse, son harmonie corporelle (souvent en contradiction avec les sons environnants). Ce qui confère un élan réflexif à chaque posture qu’Arouna GUINDO et Yvon EKUE adoptent. Qu’elle soit une posture passive, courbée, arquée, rotative, ou qu’elle s’articule à genoux, à même le sol. Il y a toujours cet élan de vie, qu’ils incarnent. Les gesticulations sont non dispersives, mais convenues, voire contenues ; avant d’être totalement hérétiques. Nous sommes comme dans un rituel expiatoire. Et c’est par des mouvements extatiques, laissant prétendre qu’ils semblent être possédés, qu’ils structurent leur exploration intime. Toute chose qu’on pourrait considérer telle une ratiocination du corps en mouvement. C’est-à-dire une volonté manifeste de réfléchir avec une curiosité et une subtilité allant jusqu’à l’extrême, leurs capacités anatomiques. Notamment, au-delà des conditions normatives, et surtout pour suggérer une (d)énonciation scrupuleuse, mais intrigante de l’allure quasi anomique qui caractérise notre époque et ses réalités actuelles (nous-mêmes avec). Il y a partout dans cette performance, un vertige des métamorphoses que traduisent aussi bien les flottements identitaires invoqués, les marqueurs d’étrangeté assumés, les attributs différentiels des mouvements de chaque danseur, et la lucidité distancée de leur rapport eux-mêmes à leur performance. Le baroque qui singularise la trame de « Hors-norme », pousse les danseurs à endosser une sorte de folie renversante sur laquelle s’appuie le dispositif psychologique, dramatique et structurel de la performance. Justifiant ainsi, l’état second dans lequel chacun d’eux semblait être ou végéter à mesure que la performance s’intensifiait. Comme si, précisément, cette faculté de ne plus avoir contrôle sur eux-mêmes, leur permettait d’accéder à un réel relevant de l’ordre du transcendant, d’aborder la réalité qu’ils indexent et qui leur paraît de plus en plus incompréhensible (inacceptable ?), avec un regard transcendantal ou plus méditatif. Corroborant un aspect de la notion Kantienne, qui croit en l’existence de réalités supérieures à celles qu’on expérimente avec les sens, désignant de fait une transgression, un dépassement de limites. En définitive, « Hors-norme » pourrait être perçu comme une performance de la détermination, de l’endurance, et de la mise à l’épreuve de soi par soi-même par rapport au monde. Sans jamais occulter la dimension imaginaire, et sans renoncer pour autant à la nécessité de (se ?) dire, c’est de l’abîme que frôlent si continuellement leurs mouvements, que les danseurs Arouna GUINDO et Yvon EKUE mettant du sens, des émotions, des sentiments, des impressions, des expressions sur leurs et nos souffrances. Afin de créer, instaurer voire entretenir avec nous, un lien qui repose sur une liaison primordiale : celle qui fait que nous sommes, en tant que spectateurs, sujets de leur performance. D’où nous serions capables d’imaginer ce que pense l’autrui que durant quarante-huit heures, Arouna GUINDO et Yvon EKUE hèlent, cherchent, sollicitent. Et qui fait que nous pouvons nous projeter (imaginairement aussi), dans l’intimité de leur dense pensée dansée, à travers laquelle nous reconnaissons le monde intérieur qui grandit de plus en plus en nous, jusqu’à nous dévoiler profondément. La rencontre-discussion ou le débat des idées en partage On voit Alougbine Dine (Directeur de l’École Internationale de Théâtre du Bénin), Noël Vitin (Programmateur culturel de l’Institut Français de Cotonou) Marion Hamard (Directrice du Centre), ou encore Philémon Hounkpatin (Historien de l'art); ainsi que des anecdotiers, replonger l’assistance, dans des récits tout aussi passionnants qu’instructifs. De leurs bribes de réminiscences surgissent des avalanches de recommandations, d’avis, de points de vue, d’avertissements ou de suggestions passés au filtre de leurs expériences et expérimentations. C’est donc dans un esprit de libre échange et de partage que la rencontre-discussion autour des possibilités d’organisation et d’incitation du public à adhérer aux activités artistiques ; s’est déroulée. L’élément primordial sur lequel tous-toutes les intervenants-tes ont pu avant tout trouver un accord, c’est déjà la nécessaire élaboration, précise, rigoureuse, voire impérative, d’un public cible. Avec évidemment des nuances de part et d’autre. Mais toutes les langues étaient sur la même longueur de salives, quant au fait qu’il est de l’ordre de l’illusion, que d’envisager un espace culturel, un événement artistique, un festival, ou toute activité relevant de la culture ; sans précisément identifier à qui l’on veut le destiner. Plus loin, certaines argumentations ont étoffé cette idée en abordant l’aspect du pourquoi et du pour quoi : pourquoi ce public ? Pour quoi ce public doit-il être celui qui devrait vivre ou participer à la vie de l’espace culturel, de l’événement artistique, du festival ou de l’activité mise en place ? C’est après avoir élucidé les détails autour qu’entre autres, l’assistance s’est attelée à porter une analyse sur le cadre d’implantation de l’initiative, du festival ou de l’institution qui se décide à mener des activités artistiques et culturelles à l’endroit de son public-cible. Des questions liées à l’utilité, à l’antériorité, et à la projection faite autour ont donc été énoncées. Puis les échanges se sont élargis aux différentes techniques de communication pour impacter et atteindre les cibles identifiées. Alors qu’Alougbine Dine (d’autres avec lui) se situait au niveau de la mise en place de stratégies résolument entreprenantes pour mener des propagandes efficaces de masse ; d’autres comme Noël Vitin (d’autres avec lui), priorisaient l’approche de niche agrémentée par l’accompagnement des artistes sur le terrain, et sur chaque étape. C’est dire qu’en fonction des ambitions, des types d’événements, du genre de public recherché et de la personnalité des initiateurs, les méthodes ne sont ni identiques ni comparables. Il convient en la matière de retenir que chacun dans son orientation doit trouver l’équilibre entre ce qu’il croit être convenable, ce à quoi le public est le plus sensible dans sa réalité de vie quotidienne, et les éléments de communication dont dispose désormais l’époque. C’est là d’ailleurs qu’un autre point d’accord commun a été identifié : internet et plus précisément les réseaux sociaux. Que l’on soit de l’ancienne école ou de la nouvelle fibre, il est évident que les réseaux sociaux jouent un rôle catalyseur et de quantification entre ceux qui réagissent et ceux qui viennent vraiment. De sorte à affiner au moins la stratégie de visibilité qu’il est possible de mettre en place et d’insister sur ce qui marche déjà. N’empêche, internet (avec des articles et autres outils), ou les réseaux sociaux (avec les partages, les sponsorings ou le relai par des influenceurs) ne remplacent nullement l’action sur le terrain. L’assistance était en phase en ce qui concerne l’obligation de jumeler les deux approches pour maximiser l’impact. À préciser aussi que tous et toutes insistèrent sur la répétition constante et attachante de l’information autour de l’espace culturel, de l’événement artistique, du festival, ou de toute activité relevant de la culture ; comme source d’efficacité des différents canaux utilisés. Des rires, des contradictions, des symbioses ont meublé l’occasion. En ce sens, cette rencontre-discussion n’avait donc rien de didactique, ni même de ronronnant, mais tout d’interactif, d’ardent. Bien sûr, des frustrations, des colères, des coups de gueule, des énumérations de manques judicieusement indexés ; ont été indiqués. Mais surtout, des pistes de solutions, des mentions d’audaces à prendre, et surtout plusieurs responsabilités ont été également situées pour améliorer les insuffisances constatées. D’où l’évocation, avec beaucoup de pudeur, quelque peu de gêne inavouée et de tact non mercantile, de l’argent dans tout le processus. L’argent pour mener les activités ou faire tourner l’institution doit être l’une des garanties les plus stables d’actions et de pérennité. En dépit des perceptions de passionnés affermies, et optimistes, l’assistance a pris en compte à maintes reprises, le besoin incontournable du pouvoir financier. Il n’est pas solutions à tout, car l’humain, la patience, et l’endurance doivent être ses alliés pour mieux favoriser son rôle. Cependant, quoi qu’il en soit, l’argent permet d’actionner le travail d’équipe, de faciliter (pas toujours nécessaire) l’implication des artistes dans le processus de visibilité, et de pousser à l’action les universitaires, les journalistes, et les médias. Cela dit, l’assistance a eu la lucidité partagée de prendre en compte que la situation des acteurs et institutions culturelles étant financièrement de moins en moins reluisante, au fil des années ; notamment en raison des coupes budgétaires ; il importe que l’avenir culturel s’envisage dans un esprit collaboratif, et de lobbying intense. Ce qui a permis d’aborder la question de la place des universitaires dans le processus de valorisation des arts. Et donc d’une meilleure compréhension du public des travaux créatifs réalisés par les artistes. Dans la foulée, la place des journalistes et la nécessité de spécialisation ont aussi été évoquées. À ce niveau, le ressentiment était d’autant plus grand que les tons étaient fort marqués et intransigeants. Heureusement que des suggestions ont été faites par rapport à l’importante obligation (devenue une revendication majeure) de faire plus de place aux arts et cultures dans les médias (radios, télés, presses écrites, et autres). Cela, afin de favoriser une plus grande existence des œuvres et des artistes auprès du public. Mais pour y parvenir, comme l’a martelé Alougbine Dine, il s’impose : une pluralité de la formation et du recyclage des journalistes dits culturels ; pour améliorer les articles, leurs approches et les pistes de critiques à envisager autour des œuvres créées. Puis une fois encore : la question de la rémunération des journalistes a été prise en compte, comme étant l’une des grandes nécessités pour pousser ceux/celles-ci vers plus de travail et de résultats. Finalement, l’on pourrait retenir de cette rencontre-discussion, qu’il relève de la passion, de l’organisation, de l’engagement et de la projection pour la postérité des arts, des artistes et de la culture, que d’accompagner, les festivals, les activités, les centres culturels, et autres acteurs du milieu. Afin de continuer à semer des graines de résistance qui pousseront malgré l’adversité et les érosions de toute nature. Hector Sonon en présence : de la transcription à la transmission des lignes C’est selon un contexte de temps, de durée et de lieu, que le travail sur le festival, du dessinateur et scénariste de bande dessinée Hector Sonon, prend de l’allure. En effet, l’artiste s’est attelé à réaliser en dessins un reportage au cœur du festival. Regarder, voir, dessiner. Transcrire, traduire, consigner. C’est à peu près ainsi que pourrait s’envisager son processus en la matière. Et cela suppose une fidélité à la réalité pourtant en mouvement, une conscience de tri pour ne ni perdre l’essentiel ni s’encombrer du surplus et une exigence dans le traitement de l’information comme dans la technique de restitution. C’est donc principalement sur son acuité visuelle, son esprit analytique, et son identité artistique que repose la sélection spontanée des éléments qu’il met en papiers, et qu’il conserve. Narrateur omniscient, il vit chaque moment au plus près tout en étant en retrait. Et dans la construction de son travail, l’accumulation des faits, des actes, des actions, des gestes qui défilent, devient son point de vue sur le festival. D’où il existe à la fois une interaction et une articulation entre sa mémoire individuelle et ce qui se transformera par la suite en mémoire collective : ses dessins-souvenirs, ses dessins-captures-personnels-de-l’ instant. Hector Sonon, par une pratique d’ordre journalistique, va alors chercher dans les strates de l’imaginaire créatif, pour constituer un récit hybridé, qui n’a du sens que par la corrélation des genres. Et cela uniquement, en partant d’une volonté de préhension des situations, de leurs représentations, de la chronologie de leur intervention. Celles-ci se dépliant et étant suspendues dans l’espace du Centre comme de Lobozounkpa. Dès lors, son rôle pour l’information à dessiner, se fait explicatif tout en étant attractif, se fait ludique tout en restant instructif. Le tout s’appuyant, sur la nécessité de la précision, de la qualité des lignes, des formes et des coloriages épurés entre nuances blanc-noir. Du gauchissement en allant vers des soupçons d’anamorphose, au plan technique, esthétique comme sur le plan du sens, Hector Sonon, n’hésite pas à nous mettre en contact avec sa pensée burlesque. Ce qu’il a d’ailleurs été appelé à inoculer à des enfants, venus apprendre et s’imprégner de sa singularité. En fin de compte final, les œuvres livrées par Hector Sonon pour rendre compte de la troisième édition des Échos de Lobozounkpa, sont intentionnellement graduelles et mouvantes se déployant selon une trame incluante qui participe d’une reconstitution, tout aussi poétique, que corporelles, tout aussi sensibles que narratives, et surtout subjectives. Déambulations, cirque et danses traditionnelles : le cocktail du déploiement en faveur des jeunes publics C’est l’étape du festival où l’implication des enfants est la plus sollicitée. Autant en tant que spectateurs qu’en tant que principaux acteurs. En optant pour des pratiques artistiques qui mettent en relation et en actions des enfants avec une certaine liberté encadrée, le Centre leur permet de s’emparer des domaines du cirque, des danses traditionnelles, et de l’animation culturelle populaire ; en s’enrichissant mutuellement, et en se décomplexant pleinement par rapport à leur âge. Or d’un point de vue général, ce public d’enfants est plus spontané que les autres, plus participatif, plus engagé. Pour s’en rendre compte : il n’y a qu’à les voir guetter, accourir, ramasser les balles ou les anneaux de jonglage. Il n’y a qu’à les voir danser à leur tour pendant les déambulations auprès des artistes commis pour s’en occuper. Il n’y a qu’à faire attention au fait qu’ils vont jusqu’à les défier sur scène pour se révéler aussi aux yeux des curieux qui viennent découvrir l’ambiance. Ils ne sont donc pas dans la passivité contemplative, mais dans la participation récréative qui donne de l’espoir quant à l’avenir des arts au Bénin et à leur prédisposition à être une relève prometteuse. À ce propos, il n’y a pas que du côté des spectateurs-trices que la notion du legs est prédominante. Quoiqu’il faille, dans ce cas-ci, se faire une réflexion au-delà de l’âge, mais plutôt par rapport à la forte propension à la transmission, qui a pu se faire remarquer. Qu’il s’agisse donc de Prime Ezinsè (promoteur de la Cie Circo Bénin, ndlr) partageant la scène avec son apprenant Norbert Noudéhou, ou de la Compagnie Toffodji avec pour leads des gamins d’environ douze ou quinze ans ; on est pris d’admiration par le sens de la générosité, de la bienveillance des prédécesseurs. Chose qui installe une détermination chez ceux-celles qui reçoivent, perceptible dans leurs prestations. En définitive, en dépit de quelques imprécisions bénignes, les trois activités sont restées à la fois amusantes, conversationnelles, mouvementées, créatives, et vouées à susciter l’émulation auprès de la postérité. De Harlem à Cotonou : une création idéalisée de la subjectivité hip-hop exhaustive Rap, MCing, DJing, break dancing, graffiti, beatboxing ont proliféré durant la dernière soirée des Echos de Lobozounkpa. Toutes les disciplines issues du hip-hop, se sont donc succédé en s’imbriquant l’une à l’autre suivant une chronologie qui remonte des origines américaines, à celles béninoises. Construite comme un voyage intemporel marqué par différents arrêts, c’est à travers les platines de Dj Seven qu’on est amené à explorer des mutations du mouvement, et témoigner des transformations urbaines que celui-ci a connues en fonction des époques, des artistes, des cultures, et des sensibilités. Ainsi d’Afrika Bambaataa, fondateur de la Zulu Nation, en passant par les autres références de la jeunesse noire Américaine et Latino de South Bronx et de Harlem dans les années 1970 ; jusqu’à 2 Pac ou B.I.G Notorious, en allant vers Dr Dre, Snoop Dogg ou bien encore Jay-Z, Chris Brown, Rihanna, Beyonce, Nicki Minaj ; cette performance, avant tout sonore, avant d’être scénique et visuelle, s’intéresse aux nuances de couleur musicale du hip-hop, aux reliefs techniques, stylistiques et idéologiques. Tel un archéologue, qui fait remonter à la surface l’enfoui, Dj Seven, va déterrer les squelettes d’une musique protéiforme, capturer les vestiges d’une histoire qui se veut fleuve de remous et tenter de faire dialoguer les époques. On sent en la matière, un cheminement, un esprit de recherches. Car la démarche est étoffée, variée, et dense. Sauf qu’après des heures de restitution sur cette histoire de la culture hip-hop essentiellement centrée sur les Amériques ; on perçoit clairement que le travail effectué ne s’adresse prioritairement qu’aux connaisseurs du hip-hop. Pourtant ce soir-là, le public n’était pas que constitué d’amoureux de cette vibe. En cela, n’aurait-il pas fallu envisager une pédagogie autour, de façon plus extravertie et démonstrative ? Notamment pour espérer conquérir une cible néophyte et les pousser à mieux cerner les codes de cette culture déjà incomprise. Peut-être aurait-il fallu documenter oralement, et visuellement (une projection de clips ou de photos par exemple ?), le mix sonore qui a été préparé par Dj Seven ? Et puis, il convient de faire constater qu’après le mot introductif, le lien avec le public a été essentiellement rompu. Bien qu’il y ait eu pendant un moment de la soirée, la voix off du m’c Mister Aryx qui présentait les artistes joués au fur et à mesure. Cela n’a ni été entretenu durant tout le set, ni été élaboré dans un élan de pont avec le public. Alors qu’il aurait peut-être fallu entretenir une interaction accrue au fil des mix de Dj Seven, afin de donner davantage sens et significations aux évolutions, et renouvellements du genre dans les différents contextes abordés. D’autant plus que le symbole de cette transformation continuelle est le fil d’Ariane de la démarche de cette performance, élaborée au départ sur un travail essentiellement chromatique et transversal. Ensuite, lorsqu’on prend en compte la gestion du timing et du temps consacré à chaque phase du hip-hop jusqu’à nous, on constate que le temps imparti pour les États-Unis et la France est plus long que celui qui est octroyé à l’Afrique et au Bénin. Il en ressort de fait, qu’à vouloir être trop exhaustif à propos des autres, la performance perd en substance en ce qui concerne le hip-hop africain et béninois. Or s’intéresser plus particulièrement à soi aurait davantage de quoi intéresser le public. Parce qu’il s’y retrouverait certainement mieux et qu’il pourrait trouver des références propres à nos réalités, à notre façon de percevoir le monde. La performance gagnerait donc à creuser davantage en nous. Comment avons-nous récupéré l’héritage transmis par les États-Unis ? Qu’avons-nous fait de l’influence française ? Jusqu’où sommes-nous le produit des autres ? Avons-nous transcendé leur impact en nous ? Comment ? Comment avons-nous remodelé le hip-hop en fonction de nos références identitaires, culturelles, et de notre compréhension ? Quelle approche en avons-nous sous les aspects à la fois du Rap, du MCing, du DJing, du break dancing, du graffiti, du beatboxing ? Assurément, nous avons reçu, appris, et digéré les codes de la culture hip-hop émanant. Mais non ! Nous ne pratiquons pas de la même façon. Nous n’en avons pas la même approche ni même les mêmes attitudes, les mêmes traitements, ou procédures. Alors on concèderait volontiers que nous soient présentées de façon succincte, simplifiée, ou schématique les origines et les influences d’ailleurs ; mais en se limitant essentiellement aux phases-clés, aux courants et artistes/groupes majeurs. Néanmoins, l’ancrage à l’Afrique et au Bénin devrait fonctionner comme un repère indispensable. Comment en Afrique, vit-on le hip-hop ? Qui le pratique vraiment ? Où le pratique-t-on ? Pourquoi ne pas envisager au-delà de l’aspect musical, des bandes sonores de témoignages, d’interviews (mythiques) d’artistes légendaires ou émergents du continent ? Pourquoi ne pas également essayer de faire percevoir les disparités africaines par rapport aux zones géographiques, aux pays, aux langues et aux jargons ? Cet ajustement permettrait de matérialiser à différentes échelles, la portée identitaire de la performance. Et lui offrirait ainsi une valeur tout aussi ludique qu’instructive. Mais surtout, cela signifierait à quel point nous sommes prêts à affirmer notre particularité hip-hop, à convoquer sa singularité, et à en assumer son état de mutations historiques, fonctionnelles, stratégiques, esthétiques, linguistiques au fil de son évolution. D’autant plus que nous avons bénéficié d’un rappel effectué pour la phase béninoise, à travers la montée sur scène de plusieurs acteurs du genre depuis le commencement jusqu’à maintenant. Procéder de leur vivant à cette mise à l’honneur, c’est respecter, c’est révérer, c’est donner de l’estime à leur travail. C’est aussi montrer toute la propension du hip-hop béninois, vu que nous sommes passés en une soirée de Sergent Markus avec son flow et son écriture aux allures classiques, à Hypnoz au texte résolument travaillé, en passant par Mister Aryx portant des indices très kainris (verlan de américain, ndlr) ou à Dr Mario qui fluctue entre plusieurs influences, et Agbozo, qui s’appuie sur la langue Fon pour répandre sa technicité. Une manière pour la performance, de questionner la temporalité comme l’intemporalité du hip-hop béninois sur le plan musical, et de livrer le témoignage de l’état transitoire du genre en perpétuel devenir.
Finalement, ce qui est captivant ici, c’est l’intention de commémoration, et le travail sur la mémoire collective du hip-hop depuis sa souche jusqu’à nous
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Djamile Mama GaoJournaliste Béninois & Africain Archives
Août 2021
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