Dans cette œuvre au titre sonore, Laudos s’adresse à un « fils » pour lui transmettre une compréhension désabusée du monde. Le texte déploie un inventaire sans détour des forces mais surtout des failles qui conditionnent les rapports humains : trahison, intérêt personnel, quête de pouvoir, corruption, indifférence face à la souffrance. Les évocations se succèdent avec la netteté d’un témoignage incisif, décisif, et sans recours. Que retenir de l’approche esthétique de l’artiste ?

LE TITRE COMME NŒUD D’INTERPELLATION

La formule-titre, répétée à intervalles réguliers, sert de sceau. Elle agit à la fois comme ponctuation, ancrage rythmique et clé de lecture. Elle installe une perspective où accepter les faits ne signifie pas y adhérer, mais en intégrer lucidement les mécanismes.

La formule brève et saisissante « Ici, c’est ainsi » concentre à elle seule une richesse stylistique notable. Avant tout, elle repose sur une ellipse significative : des éléments syntaxiques attendus, tels que le sujet réel ou une proposition explicative, sont volontairement omis, laissant à l’auditeur.trice le soin de reconstruire mentalement les vérités implicites évoquées dans l’œuvre (« Ici, les choses se passent ainsi », par exemple). Ce raccourci langagier confère à l’énoncé une teneur aphoristique, le hissant au rang de sentence ou formule gnomique, qui semble énoncer une loi universelle dans une forme impersonnelle. Par ailleurs, cette formule minimale est frappante par ce qu’elle dit, mais aussi par la manière dont elle sonne. En effet, « Ici, c’est ainsi » s’appuie sur une assonance claire en [i], qui parcourt les trois segments de la phrase. Cette récurrence vocale, presque incantatoire, installe une musicalité discrète mais entêtante, évoquant le ressassement, la certitude ou encore la résignation. Loin d’être neutre, cette répétition du [i] produit un effet de litanie rythmée, comme une vérité martelée avec douceur. À cette texture sonore s’ajoute une symétrie phonétique : les termes d’ouverture (« ici ») et de fermeture (« ainsi ») se répondent, encadrant un noyau central (« c’est »), dans une structure tripartite parfaitement équilibrée. Cette forme, proche du chiasme implicite, renforce l’idée d’un monde clos sur ses propres règles, d’un système en boucle, où l’ordre des choses ne se discute pas. Ainsi, le rythme devient sens : la musique de la formule elle-même reflète l’irréversibilité des constats qui jalonnent l’œuvre.

LA STRUCTURATION MUSICALE COMME MARQUE DE THÉATRALITÉ

La construction sonore donne à la chanson une dimension scénique. Les segments chantés aux accents reggae et traditionnel s’ouvrent comme des montées de rideau, bientôt remplacés par des séquences a cappella où la voix porte seule la charge du message. Des transitions chantonnées relient les blocs narratifs, avant qu’un retour à l’a cappella vienne resserrer l’attention. La musique réapparaît par touches, revient par effleurements, créant un patchwork où chaque variation agit comme un changement de décor.

Ce choix de fluctuations reflète probablement une part de la vision de l’artiste : le monde s’observe par fragments, et chaque fragment a sa propre intensité. La forme variée du morceau, presque dramaturgique, traduit cette conception en rythme et en texture.

L’ADRESSE À L’ENFANT COMME CADRE D’ALERTE

L’interpellation du « fils » traduit une volonté de créer un sens du relationnel avisé et prévisionnel. Elle place le texte dans un registre de transmission intergénérationnelle, où l’expérience vécue se transforme en repères pour celui qui écoute. Cette posture inscrit Laudos dans une tradition orale qui autrefois racontait, mais aussi servait à préparer l’individu, la progéniture dans sa manière de naviguer dans la société en ayant conscience des pratiques déjà en place.

En cela, la posture de l’artiste agit comme un acte de balise. Au-delà, c’est également une ligne directrice qui est indiquée à l’enfant. A travers les situations explicitées, les occurrences exprimées, l’artiste qui symbolise le père ; réaffirme la nécessité d’intégrer la lucidité dans le rôle éducationnel paternel. Notamment pour révéler, même aux plus jeunes, la complexité du réel.

Reste à se demander si une telle peinture du monde ne risque pas de troubler plus qu’elle ne prépare celui à qui elle s’adresse.

LA MÈRE COMME EXPIATION DE L’AMER

Laudos intègre dans la structure de son oeuvre un contrepoint : la figure maternelle, présentée comme un espace sûr et constant, échappant aux logiques destructrices décrites. Ce motif apporte au texte un équilibre, un point de fixation dans un paysage aussi décevant que (é)mouvant.

Laudos inscrit ainsi la figure maternelle comme un pivot au sein d’un univers où les rapports sociétaux sont problématiques. Elle incarne un espace de constance et de protection, un socle affectif qui confère à sa parole une valeur précieuse. Sa présence fonctionne comme une source de réparation des tensions et des violences du monde extérieur, offrant une respiration dans le texte et un axe de stabilité à l’enfant. La mère est non seulement refuge ; mais devient également mesure et orientation. Ce qui permet d’entrevoir dans le propos de l’artiste, que l’attachement véritable fournit à la conscience des indices pour percevoir et intégrer la dureté des réalités sociales.

À travers la mère, le single « Ici c’est ainsi » renforce alors une vision du lien parental comme consolidation moral et structurant de l’enfant (le père qui guide, la mère qui rassure). Un équilibre capable de soutenir la clairvoyance de celui-ci face à l’adversité.

AU FINAL…

Par la combinaison d’une architecture musicale versatile et d’un discours sans feinte, que l’œuvre slamée « Ici, c’est ainsi » trace les contours d’une vision avertie du monde. La cohérence de son œuvre qui se veut aussi dynamique que la réalité quotidienne repose autant sur les mots, leur mouvement, leur agencement rhétorique que sur la manière dont ils sont disposés dans le temps/ton sonore.

© Djamile Mama Gao