Il y a dans l’œuvre photographique d’Anouchka Agbayissah une vertu du regard qui tient à l’attention. Une attention qui œuvre à suspendre et surprendre l’impromptu, mais surtout à le recueillir, le déployer et l’élever en narration de tendresse. En cela, chacune de ses images se présente comme une traversée introvertie, une traduction visuelle des quêtes silencieuses qui habitent nos corps et nos souvenirs, et que l’artiste expose comme des emblèmes d’existence.
La trame de The Homecoming Journey se vit comme un cheminement expérimental. Elle nous entraîne dans les vergetures de la nature, dans les sillons de l’inattendu. Là se révèlent la curiosité d’être et la possibilité de reconnaître dans le hasard un fil directeur, une narrative incarnée du vécu. Ses photographies, dans leur épure comme dans leur composition, sont transcriptions d’un sens aigu de la sublimation de l’innocence. Elles invitent à saisir l’instant comme une grêle de magie fascinante, à demeurer à hauteur de l’émerveillement.
L’enfance traverse l’exposition comme un socle. Elle se présente moins comme un âge de la vie que comme une manière d’être, une proclamation tranquille de la vitalité, une présence sereine au monde. Chez Anouchka Agbayissah, l’enfance est un levier de réparation intérieure. Elle vient combler les interstices laissés par les manques et les séparations. Elle panse, reconstruit, réconcilie, reconsolide. L’exposition est, en ce sens, une pérégrination de colmatage, un geste de couture appliqué à la connexion familiale et diasporique de l’artiste : de ses origines béninoises, togolaises, ghanéennes, jusqu’aux espaces où elle choisit de poser son regard et de saisir ses images.
Au cœur de cette odyssée, l’amour se déploie comme fil conducteur. L’amour envisagé dans sa fonction mnémonique, comme un témoignage rétrospectif de la fulgurance de l’attachement. L’amour comme liberté d’âme. Cela transparaît dans la trilogie des portraits de lignée imprimés sur tissu traditionnel et déclinés en trois couleurs (blanc, rouge, noir) qui retracent une filiation allant du grand-père à la grand-mère puis recentré vers elle-même. Cela s’affirme également dans l’installation qui restitue le design d’un décor familial, et se prolonge dans les impressions photographiques sur papier. L’ensemble compose une cartographie personnelle où chaque médium est mis au service de la mémoire affective.
Cette démarche trouve un retentissement dans la perspective de Sabine Weiss : vouloir fixer le hasard, conserver l’éphémère. Anouchka Agbayissah quant à elle, partage cette intuition comme matière de résilience, et le passager comme lieu de résistance. Son geste photographique est d’ailleurs un manifeste de la contemplation : contemplation des êtres, des architectures, de la nature, mais aussi contemplation de l’objet photographique lui-même, dans sa capacité à relier le corps, le paysage et le quotidien.
The Homecoming Journey apparaît ainsi comme une œuvre d’ancrage. Elle relie la photographie à sa fonction première (témoigner) tout en lui conférant une force de réparation et de réinvention. À travers cette exposition, Anouchka Agbayissah transforme son expérience en espace de restitution, de réconciliation et de transmission. Elle propose une méditation visuelle sur ce que signifie revenir chez soi. Autant d’un point de vue du voyage, du retour géographique, que du travail intime d’habitation de sa propre histoire.
© Djamile Mama Gao
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