Il semble avoir choisi le langage des brisures. Et en ce sens, ses œuvres poétiques dénotent d’une proximité à l’approche de Tzvetan Todorov qui perçoit « la langue poétique (comme) non seulement étrangère au bon usage, (mais également comme étant son) antithèse. » L’essence donc de l’écriture poétique de Daté Atavito Barnabé-Akayi, réside « dans la violation des normes du langage ». Mais aussi dans une permanente déconstruction des coutumes du genre, une transgression assumée de la typographie poétique, une élaboration phrastique propre puis un renouvellement perpétuel de l’énonciation. Et puisque lui-même l’écrit « […] toute poésie véritable est rebelle ». (Belligènes, Plumes Soleil, Cotonou, 2018) Ainsi, de Noire comme la rosée, Plumes Soleil, Cotonou, 2011 ; à Tristesse ma maîtresse, Plumes Soleil, Cotonou, 2011 ; en passant par Solitude mon S, Plumes Soleil, Cotonou, 2012 ; Tes lèvres où j’ai passé la nuit. Imonlè 158, Plumes Soleil, Cotonou, 2014 ; Les escaliers de caresses, Plumes Soleil, Cotonou, 2016 ; jusqu’à Belligènes, Plumes Soleil, Cotonou, 2018 ; on perçoit autant sur la forme, que dans l’énoncé et la pratique textuelle ; un renversement des principes usités, une frétillante liberté dans l’expression ; témoignant toutefois d’un travail esthétique méticuleusement réfléchi avant d’être adopté. En conséquence, sa poésie fonctionne comme une remontée intensive qui ne cesse de faire refluer le désir par marées saccadées, ou flots accentués. Sa poésie est avant tout, ode du corps à la mémoire de la pensée du monde, et de soi ; résolument portée par l’artisanat de l’écriture, puis par l’exigence poétique volontairement performée dans l’endurance de la forme et du fond. C’est déjà en cela que Daté Atavito-Barnabé Akayi se fait original, tant par le mouvement de sa langue poétique, que par son érudition dans le choix des mots. De plus, y prennent place tant de figures de styles variantes et variées, tant de jeux de sens, de sons, de mots, de rythmes, des calembours pointilleux, des intertextualités, des interférences de toute sorte entre réalités et subversions du réel. De fait, sa poésie se veut inventive, conduite par une écriture foisonnante d’images géologiques, où se déploient des fresques de douceurs en éruptions, des couleurs paroxystiques, des lueurs métaphoriques, et des nuances métaphysiques ; ralliant les actants qui mènent à la lumière intime de l’être. Ainsi Daté Atavito-Barnabé Akayi a une écriture dont la poéticité intrigue, et met en œuvre le théâtre (désastre ?) des Mondes ; entre luxure, volonté de désillusionner, railleries et sarcasmes. Et même quand la structure de sa poésie est courte, prenant des formes d’aphorismes ou de maximes, rien n’y est périssable : ni la tension de la rhétorique, ni la densité du propos, ni le réinvestissement de la langue, ni le surréalisme des images, ni la sensibilité incandescente, ni la précarité du ressenti. Il paraît de ce fait évident que la pratique poétique de Daté Atavito-Barnabé Akayi est presque schématique, de sorte qu’au-delà de la signification, s’aperçoit clairement une démarche artistique, qui se caractérise par l’effort sur chaque vocable, sur chaque son, sur chaque sens insinué, sur chaque dérision, sur chaque référence évoquée, sur chaque allusion invoquée. Autrement, Daté Atavito Barnabé-Akayi emploie des jeux phonétiques, des difformités inventées, des suggestions multiples, pour témoigner combien son poème se possède intérieurement, tel qu’il le possède lui-même. Il n’y aurait donc pas d’intérêt à vouloir cerner sa poétique, en se passant de toute référentialité propre à sa seule nécessité d’être. Ainsi, l’on pourrait prétendre que sa poésie se veut à la fois réaliste et symboliste, mais dont le fondement n’est rien d’autre que, préoccupation esthétique. A moins de dire, que dans la poésie de Daté Atavito Barnabé-Akayi, chaque page est poème bien qu’étant une unité de texte qui se retranche sur sa propre raison d’exister, sur sa propre notion créatrice, devenant peu à peu ; un texte qui désigne implicitement le fait même de la création poétique. En cela, Daté Atavito Barnabé-Akayi semble entretenir, cette ambition prégnante de se substituer à la contenance de la parole, de faire dire le plus à travers le peu étalé, incarnant une symbolique du sous-entendu très présente. De sorte que partout, l’expression abrupte trouve ses repères et le vers libre s’étend en permanence. Néanmoins ce qui dévoile le mieux la poésie de Daté Atavito Barnabé-Akayi, c’est le désir entretenu, la contemplation enivrante, l’invocation immanente de l’Eros. Sauf que la langue charnelle n’est ni arbitraire ou simplement provocatrice. Elle est non seulement porteuse de significations, mais aussi agitatrice, incitatrice à l’action et insurgée. En effet, l'érotisme chez Daté Atavito Barnabé-Akayi est un motif allégué, pour traiter de tourments (sujets) aussi tourmentants et tourmentés, que les drames qui maculent primordialement le quotidien de son pays vital (quoique pas natal), puis par extension des pays alentours (africains ou non). Dans sa poésie, le corps se meut et se mue à mesure qu’il est abordé pour émouvoir. Il devient de ce fait une surface mouvante, qui met en scène le plus que physiologique, les douleurs violentes d’un intérieur profond (comme par sadomasochisme ?), de sorte que la matière organique comme orgasmique soit mise à nue... La chair devient de fait, lieu de possessions de l’envie, de la vie, de l’avenir, et de l’évanescence. Et le corps matérialisé mot à maux, n’est que matière malléable, pénétrée ou infiltrée par le langage explicitement luxurieux, pour assumer le compromis entre réalités si éprouvantes et désirs si (r)éprouvés. Partant donc de mots lascifs, au vocabulaire scatologique en débouchant sur des expressions presque outrageuses ; la poéticité de Daté Atavito Barnabé-Akayi ne s’embarrasse pas des restrictions liées à la pudeur et la bienséance attendues par la société. Ses mots sont employés pour bousculer, pour heurter la sensibilité et révéler l’état d’être du poète face à la gravité des choses. Or ce qui compte le plus, c’est peut-être l’immersion du poète dans les êtres, dans la psychologie des êtres, dans la nature des êtres, dans la perdition des êtres, dans les faits, dans les situations, dans les circonstances, dans les travers, dans les excédents, dans le temps, dans les souvenirs, dans la projection vers l’avenir. Sa poésie est alors évidemment violente, par tout ce qu’il y a de drames rappelés, accomplis, de délits orchestrés, de douleurs évoquées ou confessées. Mais elle reste lumineuse, et illuminée par le ton du bonheur, par l’amour trouvé en l’autre, en l’aimée, en l’amante, en l’intimité. Il y a à ce propos, une telle foison, une telle fusion, une telle effusion, une telle tension, entre le poète et l’aimée, qu’on en vient à se croire indiscret à force de continuer à lire, de continuer à épier, de continuer à savourer leur jouissance dans notre imaginaire. D’ailleurs, comment ne pas imaginer ces corps-prétextes qui servent à interpeler, leurs étreintes qui servent à inciter à l’action, leurs va-et-vient de plus en plus frémissants, qui servent à cautériser les plaies ouvertes par la vérité des textes, que dévoile le poète, à mesure que l’aimée (ou l’image de l’aimée ?), sans cesse, l’habite. Ceci étant, l’amour chez Daté Atavito Barnabé-Akayi s’envisage sous des facettes protéiformes : l’amour du pays, l’amour du peuple qui prend ses responsabilités, l’amour (du corps, des odeurs, etc.) de l’autre qui implique tremblements et de tremblotements, l’amour lubrique qui suscite allégories passionnelles et passionnées. Des nuances d’amours exprimées avec une musicalité manifeste qui émerge à travers le parallélisme des constructions, des sémantiques, des polysémies, très présentes dans ses œuvres. Alors, la poésie chez Daté Atavito Barnabé-Akayi, est faite de labeur, de travail sur soi, de technicité scripturale, d’entrechoquements des subtilités, d’absolution des frontières, d’introspection réflexive, d’images tout aussi oniriques, telluriques, qu’angoissés ; de références spirituelles, ou renvoyant à des symboles cosmogoniques (« […] et je parle avec l’Eau et je crie avec l’Air et je me tais avec la Terre et je m’éclaire avec le Feu »), de toponymies utilisées comme référencement à la réalité africaine ou béninoise, de la réappropriation du verbe et de recherche permanente.
En définitive, il convient de le lire à voix haute, pour entendre, les sons qui incarnent du sens, les voix qui se mêlent, le bruire des corps qui s’emmêlent, les esprits qui entonnent leurs litanies, les mots qui s’élèvent pour dire passionnément la fulgurance érotique du désir d’espoir, de renaissance, face au délitement de l’humanité d’où écrit Daté Atavito Barnabé-Akayi.
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C’est à la faveur d’une cérémonie de réception d’envergure, que le Petit Musée de la Récade de Lobozounkpa a accueilli environs 28 spectres royaux provenant de collections européennes. Devant un public varié et abondant, ces patrimoines matériels et immatériels ont été officiellement rendus au Bénin, avant d’être mis en exposition permanente au Centre. Vendredi dix-sept janvier deux mil vingt, quinze heures. Alors que les lueurs chaudes du soleil, faisaient étinceler l’après-midi, une déambulation à l’accent magistral illuminait le quartier de Lobozounkpa. La somptuosité des parades dansées et la prestance du défilé à symboles renvoyaient à nos royautés historiques. Autant en ce qui concerne l’accoutrement, l’accompagnement sonore comme sécuritaire, l’esprit de festivité, que le sens de l’allégeance. Et c’est l’artiste Prince Toffa, qui a travaillé à cette réadaptation contemporaine de circonstance, aux côtés des danseuses Rachelle Agbossou et Lucrèce Atchadé. Ce qui a fait convenablement écho à la raison de la cérémonie pour laquelle cette performance a été réalisée. En effet, cet après-midi-là, dignitaires, notables, artistes, acteurs culturels, citoyens, personnalités municipales, autorités administratives, personnages politiques ; se sont rassemblés pour participer à ce moment emblématique : le retour des récades, sabres et autres objets sacrés issus de l’ère culturel Fon. Plus précisément : 18 récades, 08 sabres et 02 objets ayant appartenus entre autres aux Rois Gangnihessou, Akaba, Guézo et Glèlè, etc. Ce qui suggère qu’en dehors de l’aspect matériel, une dimension spirituelle et incorporelle est greffée à ce retour. Pour peu que chacune de ces pièces est assermentée d’une historicité, d’une charge évocatoire, et d’une densité immanente. À juste titre, Dominique Zinkpè n’hésitera pas à l’évoquer en précisant qu’il s’agit également du « retour des Rois » auxquels ces biens précieux ont appartenus. Le Directeur de Cabinet du Ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, Eric Totah, va l’appuyer en insistant sur le fait que « ces pièces qui représentent l’autorité royale, racontent à la postérité l’histoire des rois du Danxomè ». C’est dire que ces patrimoines, provenant de deux anciennes collections européennes, acquises lors d'une vente aux enchères à Nantes par le Collectif d'antiquaires de Saint-Germain-des-Prés et des collectionneurs privés ; ne viennent pas uniquement enrichir la collection de trente-sept (37) récades qui trônaient dans le Petit Musée de Lobozounkpa. Ils viennent surtout nous mettre face à notre légitimité de renouer avec notre histoire, avec nos œuvres créatives ancestrales, qui représentaient un réel vecteur de grandeur, et un puissant emblème de notre puissance en tant que royaume du Danxomè. En cela, le retour de ces récades (spectres royaux), est l’expression d’un affranchissement et d’une avancée pragmatique. Au-delà de tout débat pompeux, de toute fuite de responsabilités flegmatique, de toute récupération intéressée, de toute politisation inopportune. Ainsi, tel que le martèle Robert Vallois qui a impulsé et contribué à l’effectivité de cette restitution : « ne faisons pas de discours ; agissons ! » A préciser justement, que le galeriste parisien, avait déjà pris l'initiative de restituer des œuvres d'art au Bénin, avant que le gouvernement béninois n’en fasse la demande à la France.
Comme quoi, agir c’est racheter, fournir, authentifier, réhabiliter, restituer, conserver, présenter à tous-tes. Afin d'instruire les générations à venir de ce qui avait existé, et de ce qui mérite d'être entretenu pour la pérennité de notre mémoire collective. Comme ose déjà le faire, le Centre grâce à ses investisseurs, et à travers ce genre d'initiative. En définitive, cette action dont la symbolique est indéniablement mémorable, renforce la volonté de cet espace culturel, de contribuer à réinvestir d’un point de vue patrimonial l’histoire du Bénin, pour réinstaurer ses fondements, ses valeurs intrinsèques. |
Djamile Mama GaoJournaliste Béninois & Africain Archives
Août 2021
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